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Extrait de l'introduction Depuis bien longtemps l'humanité s'interroge sur ce qui se trouve à l'intérieur de la boîte crânienne. On trouve des traces de trépanations thérapeutiques chez l'homme de Cro-Magnon, il y a environ 40 000 ans, ou chez les Incas à l'époque précolombienne. Mais il y a relativement peu de temps que les relations entre la morphologie cérébrale et les facultés cognitives sont devenues objet de science. A la suite des études de patients cérébrolésés, les progrès informatiques de la seconde moitié du XXe siècle ont permis le développement de l'imagerie cérébrale telle que nous la connaissons aujourd'hui. En permettant d'observer l'activité cérébrale correspondant à une situation particulière, la neuro-imagerie s'est imposée avec force comme l'outil le plus performant pour l'étude de l'esprit-cerveau. On peut donc comprendre l'engouement et la croissance fulgurante de l'utilisation de ces techniques qui offrent l'opportunité de se glisser à l'intérieur de la «boîte noire», ce qui était encore difficilement imaginable au milieu du siècle dernier. Aujourd'hui, plus de huit articles utilisant l'imagerie cérébrale sont publiés quotidiennement dans les revues scientifiques internationales. Il est devenu commun, nécessaire même, pour un jeune chercheur, d'être compétent dans ce domaine. L'examen des publications dans la prestigieuse revue Science permet d'apprécier l'impact et la popularité grandissante de ces techniques de localisation des processus mentaux dans le cerveau. La plupart des articles publiés dans cette revue depuis 1998 s'appuient sur les techniques d'imagerie alors que les articles relevant d'observations comportementales y sont relativement absents, à de rares exceptions près. Les recherches utilisant les outils conventionnels de la psychophysique se trouvent progressivement reléguées au second plan de cette «science de pointe». S'ajoute un nombre non moins important d'articles relayant ces travaux dans la presse généraliste. Les images cérébrales font désormais partie de notre univers social. Elles fascinent les médias qui s'en font très largement l'écho et n'hésitent pas à se livrer aux spéculations les plus folles. L'investissement technologique s'accroît parallèlement dans l'ensemble des laboratoires de recherche. Les grandes universités ont progressivement remplacé leur programme de psychologie expérimentale ou cognitive par des enseignements de neurosciences cognitives. L'idée de l'homme-machine ne serait plus un horizon lointain mais bien une réalité à portée de la main... enfin, d'un scanner! L'organisation des fonctions cognitives, déjà éclairées par plus d'un siècle de psychologie expérimentale, s'incarne désormais dans le cerveau. La neuro-imagerie endosse ainsi le rôle de falsificateur universel des théories psychologiques. En adaptant les protocoles expérimentaux issus de la psychologie cognitive aux techniques d'imagerie cérébrale, les neurosciences cognitives deviennent prépondérantes dans les théories psychologiques. Mais la réduction des phénomènes de la vie psychique à ses déterminants biologiques provoque des tensions au sein de la communauté scientifique. Certains considèrent même que l'intégration de la psychologie aux neurosciences cognitives (en d'autres termes, sa disparition) n'est qu'une question de temps. On trouve des publicités faisant la promotion de logiciels ludiques qui permettent d'entraîner telle ou telle partie du cerveau. On lit que les délinquants présentent certaines atrophies cérébrales spécifiques. Le message est simple et propice à la communication de masse. Mais simplicité n'est pas vérité. Ce type d'informations ne reflète-t-il pas au fond une méconnaissance profonde du fonctionnement cérébral? |