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Comment peut-on appréhender l'organisation des travailleurs dans le contexte d'un retour au laissez-faire où les pratiques des entreprises et la politique économique néolibérale ont conduit à la centrifugation de l'emploi vers les marchés périphériques du travail, à la multiplication des statuts d'emploi en dehors du salariat classique, au durcissement des conditions sur les marchés du travail et à l'usure des modèles syndicaux qui, construits autour de l'idée d'une classe ouvrière homogène, ne seraient plus en phase avec l'organisation du travail propre au stade d'avancement actuel du capitalisme ? C'est à cette question que cherche à répondre la présente thèse à partir du cas québécois et en nous appuyant sur la démarche que propose Sousa Santos (2003) -sociologie des absences, sociologie des émergences, travail de traduction -dont l'originalité repose sur le déplacement des frontières usuelles de la sociologie du travail de manière à mettre en avant-plan les travailleurs atypiques. Outre le premier chapitre qui présente ce cadre théorique et les hypothèses de travail, la thèse est divisée en deux parties. S'appuyant sur des sources statistiques portant sur l'évolution de l'emploi au Québec, analysant les lois du travail, revenant sur les nombreux rapports d'experts sur le travail atypique, la sociologie des absences constitue un exercice de contre-présentation mettant en relief les linéaments de la transformation du travail depuis trente ans. Elle a pour tâche d'amplifier le présent en rendant visible le travail atypique sur les marchés périphériques du travail. Dans le chapitre 2, l'attention portée au rôle de l'État eu égard à la prolifération du travail atypique permet de faire ressortir trois constats majeurs. Premièrement, la période étudiée est marquée par un virage vers une politique néolibérale qui se traduit par l'abandon de la part de l'État de sa volonté d'encadrer le travail et d'en confier la régulation au marché. Deuxièmement, l'État-employeur a joué un rôle actif dans l'essor de l'emploi atypique en ayant recours à la flexibilité numérique et à la flexibilité par la multiplication des statuts de travail. Troisièmement, l'État s'est replié sur un rôle de régulateur en rendant plus flexible le Code du travail et en montrant peu d'empressement à ajuster les régimes de protection sociale et les lois du travail afin de répondre aux besoins différenciés des travailleurs atypiques. Le troisième chapitre vérifie statistiquement l'hypothèse de Durand (2004) sur la dynamique de centrifugation de l'emploi dans l'après-fordisme en montrant que la part de l'emploi atypique dans l'emploi total au Québec passe de 16.7 % à 35.72 % au cours de la période étudiée. Il montre ensuite que flexibilisation et précarisation du travail sont deux facettes d'une même réalité et que la centrifugation de l'emploi induit une rehiérarchisation des rapports entre les travailleurs sur la base du sexe et de l'âge.En deuxième partie, la sociologie des émergences s'intéresse au renouvellement du syndicalisme dans l'après-fordisme. Sa tâche consiste à procéder à un élargissement symbolique des savoirs et des pratiques de manière à contrer un certain fatalisme laissant croire « qu'il n'y a pas d'alternatives » et que, dans ce nouveau contexte, le syndicalisme devient obsolète. À cet égard, bien que la revue de littérature (chapitre 4) relève le peu d'attention accordée aux travailleurs atypiques dans les théories « classiques » du syndicalisme, elle permet de redécouvrir certains auteurs, notamment les sociologues latino-américains du travail, dont les propositions semblent porteuses de nouvelles pistes de recherches et de réflexions dans le contexte actuel. Bref, même s'il y a aujourd'hui consensus sur le fait que le compromis keynésien d'après-guerre sur lequel avait été édifié le syndicalisme est sérieusement ébranlé, nombreux sont les auteurs à identifier des pistes à suivre afin de faire converger les aspirations plurielles d'une classe travaillante éclatée. À cet égard, il ressort de notre revue de littérature que l'organisation des travailleurs atypiques doit devenir un leitmotiv de l'action syndicale, ce que confirme le second volet de notre sociologie des émergences (chapitre 5). En effet, bien que la réaction fut relativement lente, les grandes centrales syndicales québécoises ont progressivement pris acte de l'obligation d'agir face aux transformations en cours. Les progrès du taux de syndicalisation des jeunes et des femmes, les progrès dans le secteur tertiaire privé, les percées dans les agences de placement et au sein de collectif de travailleurs autonomes, témoignent de la capacité du mouvement syndical à se recentrer sur une mission d'organisation et cette reconversion a fait du travail atypique une cible prioritaire. Par ailleurs, nous montrerons que la sociologie des émergences, en prenant appui sur un matériel de recherche colligé dans de nombreuses monographies, est susceptible de faciliter le travail de traduction entre les pratiques, stratégies et revendications portées par les travailleurs atypiques, un filon que nous reprendrons et dont nous rendrons compte en conclusion. Au final, nous croyons avoir validé notre hypothèse de départ selon laquelle, en permettant l'élaboration d'une réflexion sur le renouvellement de l'action syndicale « par le bas », c'est-à-dire à partir des pratiques portées par des travailleurs laissés pour compte par l'État, mais aussi par les organisations syndicales, la démarche que propose Sousa Santos permet de mieux comprendre les nouvelles dynamiques sur les marchés du travail et, partant, de résoudre des difficultés théoriques propres à la sociologie du travail et à la sociologie du syndicalisme dans un contexte où la société salariale est chose du passé. ___ MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : État, Mutation du travail, Syndicalisme, Travail atypique, Sociologie du travail, Sociologie du syndicalisme, Travail autonome. |