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L'adaptation à la maladie chronique et évolutive est un phénomène complexe mettant en jeu des facteurs physiologiques, psychologiques et sociaux. L'évaluation d'un tel processus chez un sujet, ou au sein d'une population donnée, requiert une approche intégrative. Nous pensons que la dystrophie myotonique de Steinert (DM1) constitue un modèle pertinent pour aborder l'approche biopsychosociale de l'ajustement à l'adversité, car cette pathologie neuromusculaire d'origine génétique a des conséquences sur ces trois dimensions. Sur la base des données de la littérature, nous avons posé l'hypothèse que le trouble de l'humeur dépressive, dans la DM1, était un phénomène réactionnel à la maladie progressivement invalidante, en raison de l'utilisation de stratégies de « coping » inopérantes. De plus, nous avons postulé que les sujets atteints de DM1 présenteraient une altération significative, sur le plan intellectuel et au niveau des fonctions exécutives, que des sujets atteints d'une autre maladie neuromusculaire sans atteinte connue du système nerveux central (la myopathie facio-scapulo-humérale, FSH), et que des sujets contrôles issus de la population générale. Enfin, considérant l'impact des troubles thymiques et des altérations cognitives sur les capacités d'adaptation des sujets DM1, nous avons fait l'hypothèse que les sujets DM1 estimeraient que leur qualité de vie est diminuée, autant sur la sphère physique que la sphère psychologique. Nous avons donc analysé le rôle des facteurs génétiques, cliniques, cognitifs, émotionnels, affectifs et sociaux, et leur influence sur la qualité de vie, auprès de 41 sujets atteints de dystrophie myotonique de Steinert, et de 19 sujets atteints de myopathie facio-scapulo-humérale. Nous avons comparé ces évaluations avec les résultats d'un groupe contrôle, constitué de 20 sujets sans maladie chronique, issu de la population générale. Nos résultats mettent en avant, d'une part, que les sujets DM1 ont, en moyenne, un niveau intellectuel global qui se situe dans la norme inférieure, et qui est significativement inférieur à celui de la population générale et du groupe témoin FSH ; ainsi que des altérations spécifiques des capacités d'attention/concentration. De plus, les sujets DM1 adultes présentent une apathie plus fréquente et plus intense que les deux autres groupes. Nos résultats permettent de faire l'hypothèse que l'apathie, caractéristique spécifique des sujets DM1, serait d'origine organique dans cette pathologie. Il s'agit d'une piste de réflexion qui mérite d'être approfondie dans de prochains travaux, notamment en y associant l'utilisation de techniques modernes d'imagerie. D'autre part, nous observons, dans la DM1, que la dépression est un symptôme fréquent. Près de 22% des sujets DM1 de notre étude remplissent les critères d'un épisode dépressif majeur actuel. L'humeur y est le plus souvent modifiée, et certains sujets présentent même des idées suicidaires. Néanmoins, l'intensité de cette symptomatologie est, si nous considérons l'ensemble du groupe DM1, légère à modérée. On retrouve des modifications émotionnelles de type « émoussement affectif » et « dyscontrôle et hyper-émotionnalité ». L'intensité dépressive est corrélée à l'augmentation du handicap fonctionnel. Elle est indépendante, statistiquement, des facteurs génétiques et neuropsychologiques. Enfin, elle est associée à l'utilisation de stratégies de coping « centrées sur l'émotion ». Ce type de coping est connu, par ailleurs, pour être peu opérant dans l'adaptation aux maladies chroniques. Inversement, le coping « centré sur le problème » est corrélé à une meilleure estime de soi et à des degrés moindres de dépression. Ces résultats sont en faveur de l'hypothèse que les troubles thymiques sont, dans la DM1, la conséquence secondaire d'une affection chronique incurable et évolutive, en raison de l'utilisation de stratégies d'adaptation non opérantes. Dans la DM1, les troubles anxieux et dépressifs, la diminution de l'estime de soi et l'augmentation de la fatigue subjective sont des facteurs inter-corrélés et associés à une moins bonne adaptation sociale et une moins bonne qualité de vie dans les domaines physique et psychologique. Enfin, au-delà de l'opposition classique entre facteurs primaires et secondaires, ou celle d'une origine neurologique versus origine psychique, nous observons, à travers nos résultats, les interactions entre émotions, cognition et adaptation au stress causé par une maladie évolutive. En effet, alors que les sujets atteints de FSH modifient leur utilisation du coping, au fur et à mesure que la maladie évolue, les sujets DM1, eux, utilisent toujours les mêmes types de stratégies, quelle que soit l'étape de leur maladie. Au sein de ce groupe de sujets atteints de DM1, ce sont les personnes qui présentent une altération cognitive significative (intellectuelle et exécutive) qui utilisent préférentiellement un coping de type émotionnel, associé à des perturbations thymiques. Ainsi, nous pensons que lorsque les substrats cognitifs, qui sous-tendent les capacités d'appréciation et de flexibilité des ressources nécessaires à un ajustement opérant sont altérés, les sujets présentent une plus grande vulnérabilité au développement de troubles affectifs. Les résultats de notre étude soulignent l'importance d'un travail de remédiation sur les stratégies de coping et les modes de réactivité au stress, selon les déterminants propres au sujet (comme par exemple l'anxiété-trait). Ils témoignent aussi de la nécessité d'être attentif, dans la prise en charge des patients DM1, aux périodes critiques d'évolution de la maladie. Il est important, aussi bien pour les aidants et les familles, que pour les cliniciens, d'apporter, dans ces périodes, d'autant plus de présence, d'écoute et d'attention. |