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Cet article s’appuie sur les récits oraux de trois personnes qui étaient enfants pendant la Seconde Guerre Mondiale afin de mettre en avant leur insatisfaction à l’égard des versions dominantes, émanant de discours publics faisant autorité, du passé dans lequel ils s’insèrent. Rachel, une enfant juive, a été persécutée, violentée, mais sauvée ; Anne-Marie est la fille d’un cheminot résistant qui a été déporté et tué ; Grégoire a été évacué et a survécu à un violent bombardement. A plusieurs reprises dans leur vie d’adultes, ces trois personnes ont fait l’expérience d’une dissociation troublante entre l’histoire telle qu’ils l’ont vécue personnellement et l’histoire étudiée et érigée en « Histoire » nationale. Chacune des trois s’est employée à panser cette blessure, en privé ou de manière publique. Selon Norquay (1999), oublier est « un processus actif, qui peut impliquer le déni, le refus, le discrédit, la réduction au silence, l’omission » ; cet article s’intéresse au fait de se sentir oublié, dénié, refusé, disqualifié, réduit au silence ou omis, et à la manière dont ce sentiment peut se transformer en puissance d’agir en vue de contrer le discours hégémonique Au cœur de son argumentation est un appel à prêter attention à « ce que font les sentiments » dans les sociétés (AHMED, 2014). Alors que la plupart des travaux universitaires influents sont dédiés à des analyses par « le haut » des cultures mémorielles liées à l’après-conflit en France, peu de recherches se sont intéressées aux souvenirs personnels des personnes « ordinaires » ou de « peu d’importance », et en particulier aux souvenirs de ceux qui étaient enfants ; de telles voix, et le message qu’elles véhiculent, ont pu ainsi être qualifiées de concurrentes et de fait préjudiciables à la « cohérence du récit national » (WIEWIORKA, 2012). Et pourtant, en ne les écoutant pas, le discours historique dominant risque de provoquer du ressentiment et des sentiments d’exclusion et de honte, au détriment, précisément, de la cohésion sociale. This article draws on the oral history narratives of three people who were children in France during the Second World War to demonstrate their dissatisfactions with dominant versions of this past put forward in authoritative public discourse. Rachel was a Jewish child, persecuted, abused, but saved; Anne-Marie was the daughter of a railway resistance fighter who was deported and killed; Grégoire was a child evacuee who survived a violent bombardment. At various moments of their adult lives, each experienced a disruptive form of dissociation with their (personal) history as lived and experienced in comparison with (national) History as researched and recounted. All three invested in healing this wound, in private and public ways. Norquay (1999) writes that forgetting is “an active process which can involve denial, refusal, discrediting, silencing, omitting”; this article shows the generative power of feeling forgotten, denied, refused, discredited, silenced or omitted, to inspire action which challenges hegemonic discourse. Central to its argument is a call to attend to what feelings do within societies. (AHMED, 2014) While much influential scholarship is dedicated to top-down analyses French post-war memorial culture (mémoire), less attention is given to personal souvenirs of “ordinary” or “unimportant” people, particularly those who were children; such voices and the claims they make have at times been characterised as competitive and damaging to the “coherence of the national narrative” (WIEVIORKA, 2012). Yet by failing to listen, dominant historical discourse may provoke damaging sentiments of resentment, exclusion and shame. |