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Grand oublié – jusque récemment – des études sur le modernisme, Le Livre de l’intranquillité de Fernando Pessoa est emblématique d’une poétique de l’incomplétude. Si la mort de l’auteur, le 30 novembre 1935, est pour quelque chose dans l’inachèvement de cette œuvre posthume , la logique du fragment, au centre de cet anti-roman, de cette « autobiographie sans événements », témoigne néanmoins d’une volonté effective d’« incomplétude ». « Mes écrits, tous, restaient inachevés ; de nouvelles pensées s’interposaient toujours, des associations d’idées extraordinaires, inexpulsives, dont la fin était l’infini », révèle l’auteur dans ses Pages intimes et d’auto-interprétation. En m’appuyant sur ce que nous renseigne l’histoire (des idées) du début du XXème siècle européen, sur la conception du fragment héritée des romantiques allemands de l’Aethenäum et de Nietzsche, ainsi que sur les concepts de la totalité et d’infini (Levinas, Blanchot), je démontrerai que la logique fragmentaire du Livre de l’intranquillité répond à une triple (et pourtant unique) nécessité – celle de dire la vérité (désormais relative) d’un individu (désormais morcelé et perdu à lui-même dans un monde brisé) dans des genres et formes désormais inadaptés (le roman, l’autobiographie, l’œuvre finie) – et, qu’en définitive, c’est précisément l’aspect incomplet et in-fini du Livre de l’intranquillité qui en fait une des tentatives les plus abouties de mise en forme de « cette étrange conglomération de choses incongrues » que constitue « l’esprit moderne ». |