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En avril 2020, la rupture d’une digue d’un bassin de rétention d’eau de lagunage exploité par l’usine Tereos à Escaudoeuvres près de Cambrai (Nord de la France) a entraîné le déversement de près de 100.000 m3 de matières organiques dans le canal de l’Escaut. Il s’agit de l’une des plus grandes catastrophes industrielles entraînant de graves conséquences pour la nature que le nord de la France et la Belgique aient connu. La catastrophe de Tereos a entraîné un certain nombre de dommages écologiques significatifs qui ont été recensés en France mais également en Belgique et aux Pays-Bas où une mortalité inhabituelle des poissons y a été observée. L’arrêté préfectoral de 2021 prescrivant à l’entreprise Tereos la mise en œuvre d’un certain nombre de mesures de réparation écologique de l’Escaut (dont la restauration de 10ha de zones favorables à la reproduction piscicole) constitue un des premiers cas d’application d’une loi sur la responsabilité environnementale qui impose de compenser en nature les dommages causés à l’environnement en France. A contrario, la condamnation de cette même entreprise par le tribunal de Lille à verser notamment près de 9 millions d’euros à la Région wallonne au titre du préjudice écologique pour le même incident constitue une compensation purement financière. Cet exemple récent illustre que le principe de réparation des dommages environnementaux (qu’ils soient accidentels ou non) est rentré dans les mœurs, même si de nombreux enjeux se posent quant au type de réparation. Dans ce numéro de Regards Economiques, nous discutons des modalités des mesures de compensation écologique en réponse à des dommages environnementaux lorsque des critères à la fois écologiques, économiques et sociétaux sont pris en compte (nature endommagée, qualité de vie des habitants dégradée, coûts de restauration, etc.). Nous montrons qu’il est nécessaire d’atteindre un compromis entre des critères écologiques et des critères tenant compte de la préservation de la qualité de vie des habitants, ce que nous appelons le critère de «bien-être social». Si les mesures de compensation qui ont été décidées dans le cas Tereos constituent à bien des égards une avancée majeure dans la prise en compte des dommages environnementaux, elles se sont basées sur des études évaluant les capacités de régénération de la biodiversité. Il s’agit donc d’une évaluation principalement écologique. De ce fait, la notion de bénéfice du bien environnemental en tant que tel pour la population n’a pas été prise en compte dans ce cas précis. Or, la qualité de l’eau, la possibilité de pouvoir venir pêcher dans l’Escaut, les opportunités de profiter de la nature et d’espèces animales et végétales variées sont autant d’éléments participant de la qualité de vie des habitants. La pollution des berges et l’empoisonnement des poissons qui ont empêché la population avoisinante de pouvoir accéder aux berges, d’y bénéficier d’un usage récréatif et des zones de pêches n’ont pas été pris en compte pour l’évaluation de la compensation à mettre en place. De plus, même si plusieurs lieux de restauration ont été identifiés, ils ont été choisis sur la base de critères de faisabilité et d’efficacité écologique indépendamment du potentiel bénéfice que la population peut retirer de ces aménités environnementales. Dans notre étude, nous montrons qu’à résultat écologique équivalent, la prise en compte des populations impactées négativement par le dommage peut notamment remettre en question le choix des sites de mise en place de la compensation. La notion même de bien-être place également au cœur de la compensation écologique des enjeux de redistribution qui sont le plus souvent absents des critères de compensation exclusivement écologiques. Si la mise en œuvre d’une telle logique est difficile, elle semble toutefois nécessaire. En effet, la détermination de la «juste» compensation écologique va s’avérer être un réel enjeu dans les années à venir, notamment du fait d’un recours accru à ce type de mécanisme dans le cadre de dommages environnementaux liés à des projets d’aménagement du territoire (construction de lignes ferroviaires, développement de zones commerciales et industrielles, nouveaux quartiers, etc.) ou de pollution industrielle (comme celle imputable à l’usine de Zwijndrecht du groupe chimique américain 3M en province d’Anvers et mise à jour en 2021). |