Les bandes détournées de Jochen Gerner et Ilan Manouach

Autor: Crucifix, Benoit, Dozo, Björn-Olav
Přispěvatelé: Garric, Henri
Jazyk: francouzština
Rok vydání: 2021
Předmět:
Zdroj: La destruction des images en bande dessinée
ISSN: 2259-8294
Popis: Occupant tout les deux une position liminale du champ de la bande dessinée, Jochen Gerner et Ilan Manouach se sont, chacun à leur manière, livrés à des expériences réflexives de destruction de l'image en bande dessinée par le détournement. Ainsi, avec ses projets tels que TNT en Amérique, Abstraction (1941-1968), ou Le Panorama du Feu, Jochen Gerner opère par la technique du recouvrement une relecture d'albums classiques et de petits formats populaires, attirant l'attention sur certains motifs graphiques, abstraits ou figuratifs des objets détournés. Plus en phase avec l'héritage situationniste du détournement, Ilan Manouach intervient sur les œuvres appropriées pour en questionner les principes idéologiques : Katz interroge la métaphore animale au cœur de Maus, tandis qu'avec Les Schtroumpfs noirs, il retourne au thème de la représentation en imprimant l'album de Peyo entièrement en cyan. Moins politisé dans Riki fermier, Manouach y fait disparaître les personnages d'un album de Petzi pour ne garder que celui du pélican Riki, suivant un projet d'écriture à contrainte décrit comme « lipogrammatique ». Pour Gerner comme Manouach, la pratique du détournement touche directement à la matérialité de l'objet de bande dessinée, au sens où il y a une intervention physique sur les bandes dessinées détournées – que ce soit par recouvrement, retouche ou réimpression – qui se double d'un maintien du format de l'objet détourné (48 CC, pocket, pamphlet ou roman graphique). Le lecteur se retrouve ainsi face à une dé-familiarisation d'un objet pourtant connu et reconnu dans sa matérialité. Cette expérience conscientise un acte réflexif de destruction : les images d'origine se voient recouvertes de noir, rayées, masquées, retouchées, effacées, défigurées. Tout en étant extrêmement opaque, ce rapport à la matérialité est cependant différent d'autres formes de « graphiation » qui attirent l'attention sur une gestuelle physique, sur les traces de la main. Au contraire, comme l'a noté Pedro Moura à propos du travail d'Ilan Manouach, il y a une volonté de se « plac[er] en dehors du domaine de l’expression auctoriale, et même humaine, afin de favoriser l’émergence d’une expression dépersonnalisée ». Plus proches d'une écriture « non-créative » telle que l'a décrite Kenneth Goldsmith3, ces deux pratiques du détournement mettent en scène une destruction d'images, dont les livres en portent la trace, donnant lieu à une traçabilité différente d'une graphiation qui mettrait en avant la patte graphique du dessinateur. La mesure destructrice de cette acte de détournement se retrouve d'ailleurs en prises avec le dispositif juridique du copyright, comme l'atteste la réaction des ayant-droits à Katz, envoyé au pilon. Face à ces deux formes de destruction (destruction de l'œuvre détourné et, retour du bâton, pilonnage du détournement), MetaKatz s'offre une double portée réflexive qui couvre toute la portée du geste destructeur au cœur du détournement, un acte qui se veut en même temps être une forme d'engendrement, puisqu'il ouvre à de nouveaux dispositifs, à de nouvelles images, et à de nouvelles lectures. Notre chapitre mettra donc en parallèle les œuvres d'Ilan Manouach et de Jochen Gerner afin d'examiner comment la question de la destruction se trouve au cœur du détournement, et de façon plus spécifique, comment celle-ci relève d'un rapport complexe à la matérialité du médium dont nous étudierons les enjeux.
Databáze: OpenAIRE