Normativité du sacré ou sacralisation de la norme ? Le débat sur les origines religieuses du droit chez Maine et Fustel de Coulanges

Autor: Pouthier, Tristan
Přispěvatelé: Pouthier, Tristan
Jazyk: francouzština
Rok vydání: 2021
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Popis: Cet article étudie la façon dont la problématique des rapports entre le droit et la religion a pu être abordée aux origines de l’anthropologie juridique moderne, c’est-à-dire dans la seconde moitié du XIXe siècle. Constatant alors la place occupée par les prescriptions religieuses dans les lois des peuples anciens, les savants de l’époque se sont naturellement orientés vers l’hypothèse d’une origine religieuse du droit. Deux ouvrages fondateurs de l’anthropologie juridique imposent particulièrement ce questionnement dans la discussion scientifique : Ancient Law de H. S. Maine (1861) et La Cité antique de N.-D. Fustel de Coulanges (1864). L’étude des thèses de ces deux auteurs révèle pourtant des points de vue incompatibles. Maine défend dans Ancient Law l’idée d’un simple entremêlement primitif du droit et de la religion dans les sociétés anciennes, et tend même dans ses ouvrages postérieurs à favoriser l’idée d’une captation primitive du droit par la religion – autrement dit, une sacralisation primitive de la norme. Maine maintient donc fermement l’idée d’une différence de nature entre le droit et la religion : la confusion primitive entre ces deux dimensions de la vie sociale est contingente. Fustel oppose à ce modèle de l’entremêlement ce que l’on peut appeler un modèle de l’engendrement : il affirme que le droit des cités antiques a été directement engendré par leurs croyances religieuses – autrement dit, une normativité primitive du sacré. La position défendue par Maine paraît a priori plus solide d’un point de vue empirique. Pourtant, la thèse de Fustel peut être utilement reformulée pourvu que l’on prête attention à sa méthode historique. Il apparaît que, pour lui, les croyances des Grecs et des Romains ne se donnent pas directement à l’historien mais doivent faire l’objet d’une reconstruction à partir de l’étude de leurs rites religieux et de leurs pratiques juridiques. Autrement dit, l’idée d’un engendrement du droit par la religion défendue par Fustel, idée naïve à première vue, est en réalité la présentation simplifiée d’une reconstruction préalable opérée par l’historien : celle d’un système de croyances cohérent, qui est sous-jacent à la fois aux rites religieux et aux pratiques juridiques d’une société donnée. L’œuvre de Fustel reste donc plus, d’un point de vue méthodologique, plus riche d’enseignements que celle de Maine pour le projet spécifique d’une anthropologie croisée du droit et de la religion. Elle invite à identifier, pour reprendre une expression employée par Georges Dumézil à propos de Fustel, la « philosophie implicite » ou « l’idéologie » sous-jacente au droit et à la religion à partir de l’étude des pratiques.
Databáze: OpenAIRE