Politesse, impolitesse et violence verbale dans les interactions humaines

Autor: Combe, Christelle, Lebreton, Émilie, Leconte, Amélie, Romain, Christina
Rok vydání: 2022
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Zdroj: TIPA. Travaux interdisciplinaires sur la parole et le langage.
ISSN: 2264-7082
DOI: 10.4000/tipa.5293
Popis: Notre contribution aborde les notions de politesse, impolitesse et montée en tension jusqu’à la violence verbale dans différentes interactions humaines : entre enseignant et élèves, sur les réseaux sociaux, en formation de jeunes migrants ou lors d’interaction impliquant des personnes souffrant de ce que l’on nomme désormais « maladie mentale » (Foucault 1972). Nous proposons un travail commun visant à répondre aux questions suivantes : l’impolitesse est-elle systématiquement antinomique de la coopération interactionnelle et donc vectrice d’une cristallisation de la tension verbale ? Est-elle toujours la même selon les contextes interactionnels ? Nous redéfinirons ce que l’on entend par politesse et impolitesse en vue de nous positionner dans le champ d’étude interactionnelle allant de la politesse à l’impolitesse dans un contexte de (potentielle) montée en tension verbale (Eelen 2001 ; Watts 2003 ; Mills 2009 ; Locher et Watts 2005 ; Locher 2006 ; Bousfield 2008 ; Bousfield et Locher 2008 ; Archer 2017). Nous souhaitons ainsi explorer, à travers l’analyse de nos différents corpus, l’impolitesse interactionnelle selon sa forme spécifique et selon les différents enjeux interactionnels qu’elle peut convoquer. Cela nous conduira à questionner la place de l’impolitesse dans le continuum : est-elle nécessairement génératrice de cristallisation de la tension ou bien opère-t-elle aussi, selon les contextes, en faveur d’une désescalade de la tension verbale ?Dans la lignée des travaux de Goffman (1973ab, 1974) portant sur le travail de figuration visant le ménagement des faces en présence lors de l’interaction verbale, Brown et Levinson (1978, 1987) ont décrit la politesse positive (protection et ménagement de la représentation subjective, dimension narcissique) et la politesse négative (protection et ménagement de la dimension territoriale au sens corporel, matériel, spatial, temporel, cognitif ou affectif). A côté de ces notions et de leurs menaces potentielles (par le recours à des Face Threatening Acts), on évoquera celle de Face Flattering Act qui consiste à rendre compte des actes flatteurs ou valorisants pour les faces (Kerbrat-Orecchioni 1992). Une nuance est apportée dans ce champ d’analyse par Leech (1983) qui distingue la politesse positive de nature productionniste (maximisation de l’acte poli) de la politesse négative de nature compensatoire ou abstentionniste (atténuation ou évitement de la menace portée aux faces en ayant recours à différents procédés discursifs). Finalement, quel que soit le choix opéré, dans la majorité des situations interactionnelles, la politesse linguistique (Lakoff 1973 ; Brown et Levinson 1978, 1987 ; Culpeper et al. 2003 ; Culpeper 2008 ; Kerbrat-Orecchioni 1992 ; Bousfield 2008) est représentée comme étant la clé du lien social (Guéguen, 2008). Elle devient alors un outil langagier (linguistique et/ou discursif) qui participe à la coopération interactionnelle et à l’apaisement de la tension (Howard 1990), elle favorise alors le ménagement des faces et en cela la désescalade de la tension verbale. L’impolitesse est décrite quant à elle comme attisant potentiellement les tensions car elle menace voire attaque la face d’autrui. Cependant des auteures telles que Fracchiolla et Romain (2015, 2016, 2020) distinguent deux formes d’impolitesse, l’une favorable à la coopération (impolitesse positive) et l’autre pas (impolitesse négative). De même, d’autres auteurs comme Bousfield (2008) montrent comment certaines interactions reposent sur un principe de non coopération ; ou encore comme Watts (2003) montrent comment un énoncé peut être ni poli ni impoli. Pour aller plus loin, on citera encore la distinction opérée par Kerbrat-Orecchioni (2010, 2005) entre apolitesse, hyperpolitesse, polirudesse, impolitesse et politesse. Enfin, et surtout, les travaux des années 2000 rendent compte d’un intérêt dominant pour la description de l’impolitesse, aux côtés de la politesse, au titre premier desquels figurent les travaux de Culpeper (1996, 2005) et ceux de Bousfield (2008). La description conduite par ces auteurs s’éloigne de celle faite à partir de la théorie des actes de langage (Austin 1962, Searle 1969) et des travaux portant strictement sur la politesse (Lakoff 1973 ; Brown et Levinson 1978, 1987 ; KerbratOrecchioni 1992, 2005). Elle convoque le contexte et l’analyse discursive, y compris dans une dimension pragmatique (Culpeper et al. 2003 ; Culpeper 2008 ; Bousfield 2008). Par conséquent, la politesse et l’impolitesse sont alors étudiées dans la dynamique de la montée en tension verbale. Celle-ci a d’abord été décrite, dans le cadre d’interactions verbales synchrones, comme répondant à différentes formes, qui ne s’excluent pas les unes des autres (Moïse et al. 2008 ; Fracchiolla et al. 2013) : la montée en tension fulgurante, la montée en tension polémique et la montée en tension détournée. Puis, des recherches conduites en interactions didactiques ont permis de dresser une classification spécifique des différentes formes de montée en tension verbale en classe (Romain et Rey, 2014, 2016, 2017). Cinq formes ont été décrites et ont été regroupées en deux ensembles : l’un favorisant une issue positive à la tension et l’autre favorisant une issue négative voire une rupture interactionnelle. Afin de répondre à ce questionnement, nous adopterons un point de vue globalisant prenant en compte la multimodalité de l’interaction à travers les contextes suivants qui donneront chacun lieu à une étude de différentes formes de politesse et d’impolitesse dans des contextes de montée en tension verbale : - un contexte d’interactions didactiques en classe en école primaire et en collège à partir duquel sera conduite une analyse des différentes formes possibles de la politesse et de l’impolitesse dans la régulation de la montée en tension verbale. - un contexte d’interactions en ligne où sera étudié la figure du troll et le trolling à travers l’analyse de fils de discussion illustrant une montée en tension verbale sur des réseaux sociaux comme Facebook et questionnant la place de la politesse et de l’impolitesse - un contexte de formation linguistique pour adultes migrants sera l’occasion de questionner la complexité même du phénomène de violence verbale et d’allier celui-ci à des phénomènes complémentaires favorisant la recherche de solutions. A partir de l’analyse d’interactions observées entre apprenants et formateurs, mais aussi d’entretiens et de rencontres réalisés avec les professionnels de la formation linguistique sera questionnée la complexité du phénomène de violence verbale. Cette démarche consistera donc à réfléchir à la manière de sensibiliser les professionnels à la diversité des formes de violence verbale et de ces manifestations. - un contexte d’interactions quotidiennes impliquant des personnes souffrant de maladie mentale. L’analyse des interactions permettra de réfléchir au rôle de la politesse (et de l’impolitesse) dans les processus de construction de « discours stigmatisants » (Toutée 2018). Il s’agira alors d’étudier les différentes formes de politesse et d’impolitesse comme des facteurs d’injustices épistémiques et testimoniales (Fricker 2007). Our contribution addresses the notions of politeness, impoliteness and rising tensions in verbal violence during various human interactions: including those between teachers and students, on social networks, in the training of young migrants or during interactions involving people suffering from what is now called “mental illness” (Foucault 1972). We propose a joint work aimed at answering the following questions: is impoliteness systematically antithetical to interactional cooperation and therefore a factor in the crystallization of verbal tension? And is it always the same according to the interactional contexts? We will redefine what is meant by politeness and impoliteness in order to position ourselves within the field of interactional studies, ranging from politeness to impoliteness in a context of (potentially) increasing verbal tension (Eelen 2001; Watts 2003; Mills 2009; Locher and Watts 2005; Locher 2006; Bousfield 2008; Bousfield and Locher 2008; Archer 2017). Through the analysis of different corpora, we wish to explore interactional impoliteness according to its specific forms and according to the various issues it can invoke. This will lead us to question the role of impoliteness in the continuum: does it necessarily generate the crystallization of a tension or does it also, depending on the context, contribute to the de-escalation of verbal tension?Drawing on Goffman’s theory on “face-work” or the figurative processes (1973ab, 1974) aimed at sparing the individual blushes in a verbal interaction, Brown and Levinson (1978, 1987) distinguished between positive politeness (protecting and sparing subjective representations, assuaging the narcissistic dimension of the personality) and negative politeness (protecting and sparing one’s territorial integrity from a bodily, material, spatial, temporal, cognitive or affective perspective). Alongside these notions and their potential threats (by resorting to Face Threatening Acts theory), we shall refer to the non-threatening Face Flattering Acts theory which consist in reporting acts that flatter or enhance faces (Kerbrat-Orecchioni 1992). A nuance is brought to this field of analysis by Leech (1983) who distinguishes between positive politeness which is essentially productionist (“maximizing the politeness of polite illocution”) and negative politeness which is compensatory or abstentionist (minimizing or avoiding face threat using certain strategies). Finally, whatever the choice made, in most interactional situations, linguistic politeness (Lakoff 1973; Brown and Levinson 1978, 1987; Culpeper et al. 2003; Culpeper 2008; Kerbrat-Orecchioni 1992; Bousfield 2008) appears to be the key to social bond (Guéguen, 2008). It then becomes a linguistic tool (linguistic and/or discursive) that furthers interactional cooperation and participates in easing tension (Howard 1990), hence sparing face and de-escalating verbal tension. Impoliteness is, on the contrary, usually described as stirring up tension by being perceived as potentially face threatening even face-attacking. However, authors such as Fracchiolla and Romain (2015, 2016, 2020) distinguish two forms of impoliteness, with positive impoliteness being favorable to cooperation, while negative impoliteness is not. Likewise, Bousfield (2008) showed how some interactions follow a principle of non-cooperation; Watts (2003) showed how a statement can be neither polite nor impolite. To go further, we may consider the distinctions made by Kerbrat-Orecchioni (2010, 2005) between apoliteness, hyperpoliteness, polirudeness, impoliteness and politeness. Research from 2000 onwards reflects an increasing interest in the description of impoliteness, alongside politeness, foremost among them, the works of Culpeper (1996, 2005) and Bousfield (2008). The description conducted by these authors departs from the ones based on the theory of speech Acts (Austin 1962, Searle 1969) and from those more focused on politeness (Lakoff 1973; Brown and Levinson 1978, 1987; Kerbrat-Orecchioni 1992, 2005). It makes use of the notion of context and undertakes discourse analysis, including a pragmatic approach (Culpeper et al. 2003; Culpeper 2008; Bousfield 2008). Therefore, politeness and impoliteness are both studied as dynamic factors in increasing verbal tension. This tension was first described in the context of synchronous verbal interactions responding to different forms of verbal tension which are not mutually exclusive (Moïse and al. 2008; Fracchiolla and al. 2013): either a meteoric rise in tension, or a rise in polemical or diverted tension. Then, research carried out in didactic interactions that drew up a specific classification through different forms of verbal tension in class (Romain and Rey, 2014, 2016, 2017). Five forms were described and were grouped into two sets: one promoting a positive outcome to the tension and the other promoting a negative outcome or even an interactional rupture. In order to answer this question, we adopt a globalizing point of view taking into account the multimodality of the interaction through the following contexts. They will each give rise to a study of different forms of politeness and impoliteness in contexts of increasing verbal tension: - didactic interactions in elementary and secondary schools’ classrooms from which an analysis of the different possible forms of politeness and impoliteness in the regulation of the rise in verbal tension will be conducted. - online interactions where the figures of troll and trolling will be studied through the analysis of discussion threads, illustrating a rise in verbal tension (on Facebook for example), thus questioning the place of politeness and impoliteness on social networks. - language training for adult migrants will allow the opportunity to question the complexity of the phenomenon of verbal violence and to combine it with complementary phenomena favoring the search for solutions. From the analysis of interactions observed between learners and trainers, as well as from interviews and meetings with language training professionals, the complexity of the phenomenon of verbal violence will be questioned. This approach will consist of thinking about how to make professionals aware of the diversity of forms of verbal violence and of these manifestations. - everyday interactions involving people suffering from what is nowadays called “mental illness” (Foucault 1972). The analysis of those interactions will allow us to reflect on the role of politeness (and impoliteness) in the construction of ”stigmatizing discourses” (Toutée 2018). This will allow the study of different forms of politeness and impoliteness as factors in epistemic and testimonial injustices (Fricker 2007).
Databáze: OpenAIRE