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Les compagnonnages sont des associations fraternelles de type initiatique rassemblant de jeunes ouvriers d’une trentaine de métiers différents. Elles se sont constituées à la fin du Moyen Age dans un triple but d’assistance mutuelle, d’éducation et de perfectionnement professionnel. Elles favorisent le voyage de ville en ville (le tour de France) durant quelques années. Elles ont perduré jusqu’à nos jours mais ont dû s’adapter aux transformations de leur environnement politique, social, religieux et technique. Au cours du XIXe siècle, les compagnonnages ont eu recours aux images (dessins aquarellés et lithographies) pour se représenter. Leurs fonctions ont évolué tout au long de cette époque, passant du simple souvenir du tour de France à un ensemble complexe de symboles et de légendes constituant un enseignement crypté à destination des compagnons. Ces images ne constituent pas des "images du travail" puisque les métiers y sont peu évoqués, mais mettent surtout en avant les fonctions morales et éducatives de l’institution compagnonnique. Ce texte explore la piste d’un idiome figuratif des groupes professionnels, qui serait composé non de façons de parler, de valeurs, d’habitudes et croyances, mais d’images et de codes visuels. D’une certaine façon, tout groupe professionnel se trouve confronté une fois ou l’autre à la nécessité de se doter d’un moyen visuel de symboliser son activité, de manière qui soit à la fois reconnaissable par autrui et acceptable ses membres, voire qui soit susceptible de favoriser l’identification mutuelle et la cohésion du groupe. La solution à ce problème est souvent trouvée dans la représentation des outils du métier (ou de certains attributs de l’activité), qui fonctionnent ainsi de manière métonymique comme représentation du professionnel lui-même, et le cas échéant du groupe dans son ensemble. Ce procédé, qui semble dans une large mesure spécifique aux groupes professionnels, se retrouve dans des communautés très éloignées dans le temps et les cultures, des scribes égyptiens aux artisans du Moyen-Age ou aux professions libérales qui défilent contre la loi Macron. L’article tente de baliser, d’un côté, les fondements structurels de cet idiome (les manières dont un objet ou outil est transformé en emblème ou symbole d’un être collectif), et, d’autre part, ses contenus caractéristiques, qu’il relie à une volonté d’affirmation de soi des groupes, à la quête du salut religieux, ou à une façon plus polémique de s’auto-représenter qui se retrouve dans les surenchères de glorification du métier, ou à travers la mise en scène des outils ou attributs dans le cadre de l’action collective. This article follows the trail of the figurative dialect of professional groups, made up of pictures and visual codes rather than idioms, values, habits and beliefs. In some ways, any professional group has to develop at some point a visual mean of representing its own activity. This visual symbol must be both recognizable by outsiders and acceptable for its members, and even capable of fostering mutual identification and group cohesiveness. The solution to these prerequisites is often found in the representing of tools of the trade (or other attribute of the activity), which functions metonymically as a representation of the professional itself or the whole profession. This process, which seems generally specific to professional groups, can be observed in old communities of various cultures, from Egyptians scribes to Middle-Ages craftsmen or contemporary professions striking against Macron’s bill. This article tries to delimit the structural basis of this dialect (the ways in which an object or a tool is made up to be a symbol or emblem of a collective), and its characteristic contents linked to a wish for assertiveness from groups, a pursuit of religious salvation, or a more controversial to represent itself (through over-glorification of the trade, or the staging of tools and attributes amidst collective action). |