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Voila plus de trente ans que Nicolas Pesques approfondit les memes questions: comment etre la, d'un coup, avec la colline ardechoise nommee Juliau? Comment, par le langage, rentrer et approfondir cette relation avant que mule jongleries verbales ne l'effacent en representation? Comment maintenir le corps dans cet eveil sensible oil monde et langue se rencontrent dans un elan pulsionnel? Du premier volume, publie en 1980, au dernier, sorti en 2009, sept livres chez le meme editeur, Andre Dimanche, et un meme titre, La face Nord de Juliau se prolongeant en serie 1, 2, 3 ... que rien ne semble pouvoir definitivement cloturer tant le projet de dire et d'etre avec le "mystere du jaillissement" est inepuisable. Deux nouveaux volumes sont ainsi annonces, faisant passer a neuf cette "aventure de corps reciproques, tangentiels et disjoints, rompus et retrouves." (1) Car dire Juliau, non pas au sein d'un regard qui se projette sur le dehors, mais au travers d'une "embrasure" interieure permettant le va-et-vient du monde, necessite un constant travail de deprise, de retour, de cassure et d'invention permanente de l'ecriture afin que cette derniere travaille toujours a reduire la distance que le langage et la pensee qui l'habille etablissent sur la colline. La poesie de Nicolas Pesques travaille ainsi constamment ea capter une proximite au monde qui parfois se donne, provisoirement, en un toucher ou les distances seffacent. C'est de ce toucher qu'il sera ici question et nous nous attacherons a en cerner l'espace-temps et les dynamiques perceptives qui le traversent. Nous partirons alors de l'ecart qui constitue le noyau dynamique de cette poesie pour aborder ensuite le motif "Juliau," puis la nudite sensible et l'ecriture de l'oubli. Nous terminerons alors cette etude en convoquant un texte precis, "L'histoire de la perdrix," ou l'ensemble de cette etude rentrera en resonance. 1. Au coeur de l'ecart Les choses ne sont pas ce que les mots produisent. Elles emergent de ce gulls separent. Elles deviennent visibles et nues comme cues ne le sont pas elles-memes. Visibles apres le bain. Issues de l'ombre positive de la langue, de l'implacable et lumineux glissement de sa negativite. (2) Ecrire sur et dans la separation, ecrire les choses passees langage, trempees de mots et de vie encore vibrante, perceptible desormais par l'ecriture qui rend "visibles apres le bain," et surtout encore "nues," et d'une nudite que les choses n'ont pas "elles-memes," une nudite exclusivement verbale, portee, intensifiee et mise en mouvement par le travail sur la page: tel est l'enjeu de cette poesie. Non pas reverie d'une parole qui imiterait au mieux la mythique transparence, ou en denoncerait l'illusion; non pas l'exaspera-tion d'une parole qui s'ecraserait sur la durete d'un silence final qui rendrait caduc tout desir de langue; non pas travail laborieux pour remplacer la perte par un bel objet ferme nomme poeme; mais une parole lucide, patiente et lente, placee sur "l'implacable glissement de sa negativite," une parole laissee a son travail de rongement, de mise a distance des choses, de deuil accepte et que l'ecriture se charge d'accompagner de maniere lumineuse. Cest sans doute le tour de force de cette poesie: malgre l'eloignement du dehors dans le langage qui tranche, "ecrire mutile et chante la douleur de ne pas pouvoir la conserver" (3); malgre les moments de doute sur la vanite du projet d'ecriture (plus persistant dans Juliau 3, 4); malgre l'implacable austerite d'une parole en prise avec la force deceptive du langage, cette poesie maintient au coeur de son endurance le desir de dire en plantant au cur de la separation la "longue et brutale saison des phrases musculaires, teigneuses et herissees." (4) Il y a bien ici combat, lutte patiente et obstinee pour maintenir dans le repli des choses des decharges d'intensite verbales capables d'orienter encore la poesie (malgre tous ses desenchantements) sur une celebration de l'adieu. … |