Apprivoiser la ville ? Stratégie et organisation de l'immigration juive d'Europe centrale et orientale à Paris entre les deux guerres

Autor: Laloum, Jean
Přispěvatelé: Groupe Sociétés, Religions, Laïcités (GSRL), École pratique des hautes études (EPHE), Université Paris sciences et lettres (PSL)-Université Paris sciences et lettres (PSL)-Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), Institut Jean-Baptiste Say (université Paris 12), Centre d'histoire du XIXe siècle (université Paris I Panthéon-Sorbonne Paris IV), Vie urbaine UMR L'OUEST-IUP, Laloum, Jean
Jazyk: francouzština
Rok vydání: 2007
Předmět:
Zdroj: Urbaphobie. Idéologies et représentations du refus de la ville XIXe-XXe siècles
Urbaphobie. Idéologies et représentations du refus de la ville XIXe-XXe siècles, Mar 2007, France. p
Popis: National audience; Durant l'entre-deux-guerres, l'afflux massif d'immigrés juifs originaires d'Europe centrale et orientale provoqua un essor spectaculaire du yiddishland parisien. Poussés par l'intolérance ou pressés par les difficultés économiques, ils étaient partagés entre les nécessités d'un ajustement à la société d'accueil et la volonté de préserver les particularités de la culture dans laquelle ils avaient grandi.Pratiquant le yiddish comme langue vernaculaire, la plupart demeuraient profondément attachés à un mode de vie directement hérité des principes de la yiddishkayt, cette tradition d'entraide et de fraternité présente dans les moindres aspects de la vie quotidienne. En butte à Paris aux difficultés d'un milieu étranger, âpre, et par bien des côtés, hostile, ils aspiraient à recréer un environnement à la fois familier, chaleureux et simple.L'apprivoisement de la langue fut au nombre des premières stratégies adoptées en vue de la domestication des rapports à la ville. La translittération du yiddish permit l'amorce d'une réappropriation du sens et de l'espace. Les mots investis répondaient à des nécessités de nature pragmatique. Cette porosité du yiddish vers le français s'organisa d'abord dans l'optique d'une meilleure insertion dans le quotidien, tant familiale que professionnelle. La presse yiddish et les tracts syndicaux furent les principaux organes de diffusion de ce corpus néologique.La création de sociétés de secours mutuels constitua également une pièce maîtresse dans la stratégie de l'accommodement. Secours en cas de maladie, blessures ou infirmités, pensions de retraites, assurances individuelles ou collectives, frais des funérailles et secours aux ascendants, aux veufs, veuves ou orphelins, des principes conformes à leurs aspirations dans lesquelles l'hospitalité tenait avant tout d'une obligation à caractère sacré. La perpétuation des traditions et habitudes liées aux pays de départ semblait en apparence contribuer à maintenir intactes les marques du « vieux pays ». Pourtant, les politiques pratiquées par ces sociétés dans leurs activités, témoignaient du contraire.La Fédération des Sociétés juives de France vit le jour en 1926. Elle visait à rassembler les initiatives dispersées des sociétés et à développer des activités culturelles dans lesquelles l'adaptation à la vie française comptait au nombre de ses priorités. L'ambition de la Fédération à s'ériger comme organe représentatif de la population juive immigrée ne l'avait cependant pas empêchée de nouer, dès 1930, avec les instances du judaïsme consistorial des contacts étroits et réguliers.Le judaïsme français ambitionnait de transformer ces Juifs immigrés en “bons citoyens”. Les tentatives sporadiques pour rallier dès la veille de la Grande Guerre les nouveaux arrivants aux mentalités des Juifs “français de souche” s'étaient soldées par des échecs, tant persistaient des antagonismes d'ordre culturel, social et économique. L'attitude des autorités consistoriales en direction des Juifs immigrés procédait également d'une certaine Real Politik, puisque ces derniers se trouvaient désormais liés en France par un sort commun, c'était là l'intérêt partagé et bien compris de tous les Juifs de France.La récession et le malaise économiques des années trente furent marqués par une poussée xénophobe ainsi que par la réapparition dans l'arène politique et la société civile, d'un antisémitisme déclaré. Pour les Juifs français, la langue yiddish, sa presse, de même que les affiches recouvrant certains murs de la capitale, constituaient autant de provocations de nature à attiser ce rejet. Les Juifs français accusaient leurs coreligionnaires immigrés d'être trop visibles et trop bruyants et les pressaient d'emprunter la voie rapide de l'assimilation. Pour les inciter dans cette voie, ils adoptèrent à leur égard – et malgré le mépris affiché qu'ils manifestaient envers leurs coutumes et leur mode de vie –, une attitude paternaliste, acceptant de nommer ou d'associer à leurs décisions les plus éclairés d'entre eux, espérant gagner par ce stratagème, leur confiance et ainsi recouvrer une autorité sur l'ensemble de la communauté. Une autre stratégie des instances consistoriales consista à participer à leurs associations, dans la mesure où les principes qui y étaient exposés coïncidaient avec leurs propres valeurs.Si l'efficacité de l'école publique comme tremplin à une acculturation réussie n'était plus à démontrer, l'insertion des milieux ouvriers juifs auprès de leurs camarades français – par le biais de l'activité syndicale –, y participait aussi pleinement. Cependant, cet effort exigé en vue de « dépouiller le vieil homme », laissa sur le bas-côté nombre de ceux qui se trouvèrent dans l'incapacité de suivre cette marche forcée vers l'assimilation.La guerre qui s'annonçait, fit sortir les Juifs français de la torpeur politique traditionnelle qui les caractérisait lorsque la vindicte antisémite les désignait. La menace allait paradoxalement réunir une nouvelle fois les deux communautés et leur offrir l'opportunité de réaffirmer – comme durant la Grande Guerre –, leur attachement au pays. Au final, la ville qui fut dans un premier temps témoin de leur divergence de conception, devenait par leurs manifestations patriotiques à la veille du conflit armé, le théâtre de leur réconciliation. L'occupation allemande et le déclenchement des déportations qui s'ensuivit, mirent un coup d'arrêt dramatique yiddishland parisien.
Databáze: OpenAIRE