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L’amandier (l’luz) occupe une place centrale dans un système agro-sylvo-pastoral de moyenne montagne semi-aride associant céréales, légumineuses, amandiers et élevage, chez les Bni Boufrah, société rurale du Rif marocain. Monnaie d’échange, voire monnaie courante, sa production constitue une sorte de banque sur pied ; les amandes à coques dures (l’luz beldi) stockées toute l’année se distinguent des amandes à coques tendres (l’luz snan ou l’luz romi) qui se conservent moins bien. Les amandes s’échangent contre des services, sont utilisées comme monnaie au souk, au rythme des besoins du foyer ou font l’objet de dons. Depuis la régénération naturelle dans la forêt, aux semis dirigés dans les champs, à la reproduction végétative par la greffe (telqem) dans les jardins, l’amandier se distingue par une gestion des semis (reproduction sexuée donnant une population diversifiée) et des clones (reproduction à l’identique par voie végétative) selon un cadre spatio-temporel au sein des territoires. Arbre prototype de l’est du Rif, les peuplements d’amandiers « intègrent » des apports successifs dans le temps, d’amandiers provenant d’ailleurs, de savoirs et de techniques qui fondent une tension entre l’ici, qualifié localement de beldi et l’ailleurs qualifié de romi, à l’image de l’identité des hommes sur ce territoire. Entre cueillette, agriculture et horticulture, les pratiques se chevauchent dans des espaces socialement différenciés. Aussi le statut de l’amandier varie depuis un arbre toléré, encouragé, vers un arbre fortement domestiqué et nous incite à penser la domestication d’une espèce dans son cadre spatio-temporel, celui des territoires et des paysages agricoles. Ancré dans le temps et dans l’espace, l’amandier fait le lien entre les générations, entre les vivants et les ancêtres, mais aussi entre ce qui vient d’ici (beldi) et ce qui vient d’ailleurs (romi), entre le traditionnel et le moderne. L’amandier nous révèle comment des hommes réconcilient temps et espace pour penser tout à la fois histoire et territoire. En combinant multiplication sexuée et végétative, les hommes inscrivent l’amandier et leurs propres vies dans leur territoire tout en intégrant les éléments provenant des frontières. Acteur central tout autant que les hommes, l’amandier fait ainsi partie d’un collectif hybride réunissant humain et non-humains. For the rural Bni Boufrah society, in the Moroccan Rif, almonds (l’luz) play a pivotal role in a semi-arid low mountain agro-sylvo-pastoral system combining cereals, pulses, almonds and animal husbandry. Almond fruit, quite commonly used as currency, is a bankable standing crop; in this respect, there is a distinction between hard shell almonds (l’luz beldi), which are stored throughout the year, and soft shell almonds (l’luz snan or l’luz romi), which cannot be preserved as long. Almonds are traded for services, tendered like money at the souk, as and when needed by households, or will even be donated. Whether it is by natural regeneration in forests, controlled sowing in fields or vegetative propagation by grafting (telqem) in gardens, almonds are characterized by a management of their seeds (diversification by sexual reproduction) and clones (identical reproduction by vegetative propagation) in a spatial and temporal framework within territories. As prototypical trees of the Eastern Rif, almond stands have “integrated” over time successive inputs by almonds brought from elsewhere, by knowledge and techniques that create a tension between here —locally referred to as beldi and elsewhere called romi thus reflecting human identities in this territory. As far as gathering, agriculture and horticulture are concerned, practices overlap in socially differentiated spaces. This is why the status of the almond varies from that of a tolerated, to a fostered and even a highly domesticated tree, which prompts us to think about the domestication of a species in its imbricated spatial and temporal framework, concretely expressed in territories and agricultural landscapes. Rooted in time and space, an almond tree is a link between generations, between the living and the forebears, tradition and modernity, but also between what originates from here (beldi) and what comes from elsewhere (romi). Almonds tell us how people can reconcile time and space in order to think of history and territory simultaneously. By the combination of sexual and vegetative propagation, men stake their territories with almond trees and their own lives while integrating elements coming from the borders. As pivotal as men, almond trees thus form part of a hybrid community consisting of humans and non-humans. |