Popis: |
Mais derrière ces villes d'aujourd'hui et d'hier, il pourrait être question également de Babylone ou de Jérusalem. Envisageant, à différentes époques, à différentes échelles, ces villes fort différentes elles-mêmes les unes des autres, leurs populations, leurs quartiers, leurs concurrences et leurs affrontements, les éludes réunies ici et présentées par le Centre d'études et de recherches sur le Moyen-Orient contemporain visent à éclairer quelques-uns des aspects de la mutation des sociétés de l'Orient arabe. La crise des villes compte sans doute parmi les signes les plus spectaculaires des changements en cours. Elle est aussi l'un de ses témoignages les plus éloquents. Mais au-delà de l'actualité, les auteurs de ces études replacent cette crise dans la perspective d'une longue histoire marquée par la confessionnalisalion des conflits et par de multiples tentatives de résoudre par la force les questions relatives à l'identité des groupes en présence Etudier les circonstances et les objectifs de l'industrialisation, analyser ensuite, dans le même cadre régional de référence, les mouvements, les échanges et les migrations de main-d'oeuvre, tels furent successivement, depuis sa fondation, les objectifs du Centre d'études et de recherches sur le Moyen-Orient contemporain. Les premiers chercheurs qui s'y trouvèrent réunis s'y attachèrent, insistant notamment sur les changements sociaux induits par ces grandes transformations; les prochaines semaines verront d'ailleurs s'ajouter à la liste des publications déjà connues, qui jalonnent les résultats de ces équipes aujourd'hui redistribuées dans diverses institutions, des titres nouveaux correspondant à l'élaboration et à la mise en forme des matériaux recueillis naguère à l'occasion de leurs enquêtes. Etudier l'industrialisation puis les migrations entrainait inévitablement le Centre d'études et de recherches sur le Moyen-Orient contemporain à reconnaître dans les villes quelques uns des sites des transformations socio-économiques et socio-politiques les plus actives et, souvent, les plus rapides, sinon les plus tumultueuses, dans la région considérée: un troisième programme de recherches, envisagé pour une nouvelle période triennale, fut donc esquissé. Les divers événements enregistrés à Beyrouth, depuis la fin de l'été 1983 — et sur lesquels les chercheurs n 'eurent guère de prise — ont gravement perturbé le lancement de ce programme. La publication du présent ouvrage témoigne cependant de la poursuite des activités de recherches au CERMOC. Et nul ne s'étonnera que l'on ait choisi, dans une institution consacrée au monde contemporain, d'étudier certains des phénomènes même dont l'actualité a justement envahi le quotidien de plus d'une ville au point d'entraver quelques fois la démarche des chercheurs, même quand leur attention est particulièrement sollicitée par l'acuité des débats qui s'y développent. Divers quartiers de Alep, de Beyrouth, du Caire, de Tripoli... Le champ spatial des enquêtes dont on présente ici les résultats est rétréci, si on le compare à celui de la plupart des travaux déjà publiés: c'est à grande échelle que sont conduites les études de ces portions de villes et des groupes dont l'agencement, les confrontations et les concurrences donnent lieu aux conflits qui marquent les paysages urbains et rythment leur histoire quotidienne. Il n 'est pas possible cependant de négliger le fait que la croissance des populations urbaines résulte ici pour une large part d'un retrait de la terre, opéré dans des circonstances diverses et pour des raisons fort variables suivant les lieux. Ni le fait que l'effort historique des bourgeoisies urbaines a, depuis longtemps, tendu à élargir le rayon économique des villes, à définir leur territoire, à donner une assiette à leurs prétentions à l'autonomie, déterminant parfois de la sorte l'insertion de nouveaux venus, inattendus souvent, dans les luttes engagées entre factions urbaines.En revanche, la perspective chronologique de ces enquêtes est allongée. Non seulement parcequ'il s'agit aussi bien de la montée en puissance, aujourd'hui, d'un mouvement d'unification islamique à Tripoli du Levant ou du métamorphisme, aujourd'hui encore, de pans entiers de Beyrouth par l'apport de population chi'ites d'extraction rurale, que d'épisodes passés significatifs de l'histoire sociale, économique et institutionnelle de Alep. Mais surtout parce que ces événements sont replacés dans la perspective des évolutions régionales.... Comment comprendrait-on le présent sans découvrir le passé? Tout en faisant ressortir, dans chaque gros plan, des détails parfois très ténus, les auteurs ont su ménager à chacun des thèmes, des personnages et des groupes qu'ils campent des profondeurs de champ historiques et idéologiques considérables. Analysant des quartiers dans lesquels ils reconnaissent des traits de personnalité collective, démontant les mécanismes qui régissent dans ces villes les communautés parfois fermées qui les constituent, ces auteurs y mettent en évidence des solidarités qui ne sont pas toutes urbaines ni locales. Comment présenter utilement le développement de ces mouvements communautaires observés dans les villes contemporaines en faisant table rase de la longue tradition régionale des mouvements populaires d'autonomismes urbains? C'est justement le rôle des chercheurs en sciences sociales que de replacer le tumulte des épisodes de la violence urbaine aujourd'hui dans l'évolution à long terme des sociétés et de leurs valeurs. Venant après les études consacrées à l'actualité du renouveau de l'islam chi'ite à Beyrouth et du sunnisme à Tripoli, l'étude consacrée à Alep, en tentant de situer historiquement le phénomène de confessionnalisation permet de noter que si celle-ci n'a pas attendu pour se manifester la vague de l'urbanisation contemporaine, il n'est pas non plus une donnée invariable de l'histoire et de la vie politique urbaines. Ce livre rassemble donc des textes appartenant aux chercheurs dont la présence au CERMOC, aujourd'hui, permet d'attendre et d'espérer que lui soit restituée la capacité de recherche dont il disposait naguère. Il a paru utile pour mieux situer le CERMOC dans le réseau régional des grands établissements de recherche, de joindre à ces études des textes composés par des chercheurs appartenant à d'autres institutions, avec lesquelles le CERMOC entretient, par nature ou par tradition, des relations d'échanges ou de coopération amicale: c'était souligner un des rôles importants du CERMOC; c'était aussi l'occasion, en donnant la parole à Mona Zakaria, d'évoquer une moitié du monde que, sans elle, on n'apercevrait guère dans les pages qui suivent... Enfin, et bien que ce volume soit tout entier tourné vers le Machreq,j'ai voulu, en faisant place à une brève évocation de Casablanca, rappeler que l'on relèverait, dans plus d'une ville du Maghreb, des symptômes de crises analogues sinon homologues à ceux qui sont observés et expliqués en Orient; cela permettait aussi de signaler que le terme d'urbanisation recouvre quantité de crises personnelles qui ne sont perceptibles qu 'à très grande échelle et relèvent rarement des analyses sociales conduites par des historiens, des géographes ou des sociologues ; c'était enfin l'occasion... d'évoquer le travail accompli, non sans mérite, par des chercheurs assidus que souvent, aucun centre de recherches n'a pu, jusque là, s'attacher. Je tiens à remercier ceux qui ont" de la sorte confié au CERMOC les résultats de leurs enquêtes et de leurs réflexions. Je tiens aussi à remercier tous ceux dont le soin et le travail ont permis la fabrication de ce livre dans des délais très réduits, même si la lenteur d'un auteur a retardé finalement sa publication. Ceux là m'ont souvent appris, dans des domaines divers, autant que les auteurs des textes qui le constituent. Marie-Béatrice Hansen-Sioufi, chargée de la promotion du livre aux services culturels de l'ambassade de France au Liban, avait efficacement ouvert ma voie parmi les entreprises d'imprimerie de l'agglomération de Beyrouth: chacun de ses conseils s'est révélé judicieux. May Tabet et Nada Tabet-Kettaneh ont, au CERMOC, assuré avec une efficacité souriante la tâche parfois délicate de la dactylographie des manuscrits à laquelle contribuait aimablement, de son côté, le personnel de l'Institut français d'études anatoliennes, à Istanbul. Michaël Davie, directeur du département de géographie de l'Université Saint-Joseph, a mis au point et dessiné les quelques cartes nécessaires. Antoine Karamanlian, directeur technique des Editions L'Orient-Le Jour, les clavistes et les conducteurs de son équipe de saisie de textes, furent, de jour et de nuit, les premiers lecteurs, et très attentifs, de ce livre qui doit beaucoup à leur labeur et à leur souci de l'ouvrage bien fait. Je n'oublierai pas l'automne et l'hiver que j'ai passé de la sorte avec eux à Beyrouth. Les lecteurs remarqueront cependant, d'un chapitre à l'autre, et peut être à l'intérieur d'un même chapitre, des différences dans la façon dont on a usé des majuscules et dont on a ret.du en français la translittération de termes arabes, turcs, ou même persans: le temps, en effet, a cependant manqué pour assurer d'une contribution à l'autre les harmonisations qui, sans doute, auraient été utiles. Pierre-Yves PÉCHOUX |