Inclure la musique dans les études sinophones, décentrer la musique chinoise

Autor: Nathanel Amar
Jazyk: francouzština
Rok vydání: 2020
Zdroj: OpenEdition
Popis: Durant les récentes manifestations contre la loi d’extradition à Hong Kong, des musiciens populaires originaires de Hong Kong, de Taiwan et de république populaire de Chine (RPC), ont produit des chansons à la fois en faveur et contre le mouvement social. En juin 2019, plus d’une vingtaine de chanteurs et compositeurs hongkongais et taïwanais ont mis en ligne la chanson « Cheng » 撐 (« Soutien »), ou « Caang » en cantonais. La chanson, produite par le Taïwanais Blaire Ko 柯智豪, met en scène des chanteuses et chanteurs de Cantopop et activistes pro-démocratie célèbres tels que Denise Ho 何韻詩 et Anthony Wong 黃耀明, ainsi que des groupes de rock indépendants taïwanais comme The Chairman 董事長樂團 et Fire Ex 滅火器1. Les paroles, quant à elles, sont écrites par le parolier taïwanais Wu Hsiung 武雄 et le célèbre auteur-compositeur de Cantopop Albert Leung 林夕, à la fois en cantonais et mandarin. À rebours des chansons mettant en scène des chanteurs populaires de Hong Kong, Taïwan et de la RPC produites par le Parti communiste chinois (PCC) lors d’événements internationaux comme les Jeux olympiques ou l’Exposition universelle de Shanghai, cette chanson offre la possibilité aux chanteuses et chanteurs d’utiliser leur propre langue – cantonais ou mandarin taïwanais – abolissant ainsi toute forme de hiérarchie linguistique. En août 2019, le groupe de rap nationaliste chinois originaire du Sichuan CD-Rev (Tianfu shibian 天府事變), financé par la Ligue de la jeunesse communiste, a mis en ligne une chanson anti-manifestants interprétée en anglais et en mandarin, intitulée « Hong Kong’s Fall » (Xianggang zhi qiu 香港之秋). Cette chanson accuse les États-Unis d’interférence dans les affaires intérieures de la Chine, et appelle l’Armée populaire de Libération à « éradiquer les terroristes » hongkongais, tout en utilisant des images issues de la chaîne de télévision d’État CGTN. Cette dernière a par ailleurs partagé la chanson sur ses réseaux sociaux accompagnée de l’accroche : « Hé les manifestants de #HongKong ! Les rappeurs chinois du continent on quelque chose à vous dire ». Des rappeurs originaires de RPC comme PG-One, VaVa ou les Higher Brothers, ont aussi partagé sur leurs réseaux sociaux des images produites par le Quotidien du peuple en soutien aux policiers hongkongais – faisant étonnamment usage de caractères chinois traditionnels. Les manifestations à Hong Kong témoignent ainsi de l’importance que prend la musique populaire en tant qu’outil stratégique dans le champ de bataille idéologique et culturel entre Hong Kong, Taiwan, la RPC et au-delà5. De nombreux ouvrages se sont penchés sur les liens entre musique et mouvements sociaux, notamment en tant qu’affirmation identitaire (Eyerman et Jamison 1998), qu’instrument de mobilisation sociale (Eyerman 2019 ; Balasinski et Mathieu 2015), ou en explorant le rôle de la musique populaire dans l’expression de « la voix des sans-voix » (Hennion 1983). Au-delà de la mobilisation politique, la musique joue un rôle crucial pour les individus dans l’exercice de leurs capacités d’agir (agency) et dans l’articulation de leurs identités (DeNora 2000). L’objet de ce premier numéro spécial sur la musique sinophone est précisément d’analyser la façon dont la musique circule et est appropriée par différents acteurs de l’univers linguistique chinois. Afin de comprendre ces circulations musicales qui transcendent les frontières nationales, nous devons faire usage d’un concept ne limitant pas la Chine et la sinité (Chineseness) au territoire géographique et politique de la RPC.
Databáze: OpenAIRE