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Les données de deux enquêtes quantitatives réalisées en France en 2000 et 2015, nommées « Enveff » et « Virage », permettent de produire et d’actualiser les savoirs sur les violences conjugales subies par les femmes, à l’aide de données représentatives à l’échelle nationale. En comparant les prévalences des violences subies par les femmes dans le cadre conjugal, on observe que les formes les plus graves n’ont pas baissé de manière significative depuis le début des années 2000. Les femmes restent exposées à un continuum de violences, c’est-à-dire qui prennent des formes diverses (Kelly, 1988, 2019) et impactent leurs parcours de vie dans la durée, comme nous le verrons au fil de cet article. L’expérience masculine de faits violents est de manière générale moins sévère, non multiforme et plus discontinue. Les hommes déclarent des faits sur des temporalités plus courtes, qui relèvent majoritairement du conflit ; la notion de « violences conjugales » est peu pertinente en ce qui les concerne. Ces données balayent donc les présupposés sur la symétrie des faits vécus par les femmes et par les hommes, en particulier quand on élargit l’approche transversale (sur les 12 derniers mois) à une approche de long terme (au cours de la vie) ; en prenant en compte les affects, notamment la peur et la honte, les analyses montrent de manière indiscutable qu’il n’y a pas de symétrie entre les expériences vécues par les femmes et celles vécues par les hommes. Entre 1 % et 3 % des hommes déclarent des violences alors que, selon le parcours, plus de 10 % des femmes (notamment celles qui sont séparées au moment de l’enquête) ont subi des violences conjugales au cours de leur vie. Ces résultats empiriques montrent l’intérêt de l’analyse comparative permise par deux enquêtes quantitatives menées à 15 ans d’intervalle. Cette comparaison permet d’éclairer les dynamiques temporelles, de genre et d’âge, au prix d’un outillage méthodologique complexe, donc difficile à mettre en œuvre, dont les limites seront discutées au fil des analyses. Elle montre également dans quelle mesure la question des affects et de la temporalité sont des dimensions centrales de l’exposition des femmes aux violences conjugales. Enfin, nous verrons dans quelle mesure la théorisation féministe des violences de genre reste opérationnelle au fil des années et de la progression des connaissances scientifiques, en l’occurrence ici avec un matériau quantitatif. In 2000 and 2015, two nationally representative statistical surveys on gender based violence, named « Enveff » and « Virage », were conducted in France. They produced sizeable databases and made a significant contribution to knowledge on intimate partner violence against women. The comparison between the frequencies of violent acts suffered by the women in their couple shows that there has been no significant decrease of the most serious acts since the early 2000s. In their everyday lives women are still faced with a violence continuum, involving different types of acts (Kelly, 1988, 2019) that impact their life course in the long term, as we shall see below. Men in general suffer less serious violence, with fewer different or continuous acts or situations. The acts they report occur for shorter periods and in most cases correspond to a conflictual relationship with their partner. The notion of intimate partner violence has less relevance for describing their experience. The data thus sweep aside presuppositions on the symmetry of the acts reported by women and men, especially when the current prevalence viewpoint (previous 12 months) is widened to the life course; when taking in account affects, in particular fear and shame, the analysis shows indubitably that the experiences of men and women are not symmetrical. From 1% to 3% of the men report violent acts, whereas more than 10% of the women, depending on their life path, have endured partner violence at some stage. These empirical findings emphasize the value of the comparative analysis of two statistical surveys carried out over an interval of 15 years. This comparison sheds light on the temporal, gender based or age related dynamics, using a methodological tool that is complex and so not easy to implement, including limits discussed in this paper. It also reveals the extent to which dimensions of affects and temporality are important in the women’s experience of intimate partner violence. Finally, through our use of statistical data, we shall see how the feminist theorization of violence has maintained its relevance over the last 30 years within a flourishing academic research field. |